Secousse sismique
La route
Cormac McCarthy
traduit de l'anglais (Etats-Unis) par François Hirsch
Editions de L'Olivier, 2008
(par Jean-Baptiste Monat)
A la surface du monde dévasté, quelques hordes d'hommes s'entre-dévorent. Un père et son fils errent sur la route. Ils traînent un caddie, explorent les ruines à la recherche d'une boite de conserve, d'un peu d'eau. Aucun secours à attendre, aucune ressource et aucun but ailleurs qu'en soi-même. Survivre, c'est fuir, échapper à la traque des barbares.
Il s'agit de tout sauf de science-fiction : ce sont nos autoroutes qu'ils sillonnent, nos maisons qu'ils inspectent et les vivres qu'ils y cherchent ressemblent parfaitement à ceux qui s'amoncellent dans nos cuisines. S'agit-il d'anticipation ? La force de l'écriture nous fait comprendre que leur temps est déjà le notre. La débâcle est amorcée : n'avez-vous pas remarqué que de fines particules de cendre recouvrent parfois les objets que nous jetons négligemment au fond de nos caddies ?
Le père envie souvent les morts de n'avoir plus à lutter. Il s'accroche aux paroles de l'enfant. L'enfant « porte le feu » et ils reprennent chaque matin la route. Le sort de l'humanité entière pèse sur ces deux êtres : dans ce monde, que vaut encore l'espoir d'une transmission, d'une relation autre que marchande, concurrentielle ou cannibale ? Que vaut encore le conte biblique de la force vaincue par la faiblesse ?
En guise de réponse, McCarthy passe la tradition du roman américain à l'épreuve d'une violente vision poétique. Cette illusion que la terre tremble en lisant, un tel mélange du présent incertain et du futur inéluctable signent une grande œuvre de notre époque.